Par Émilie LAVIE, Mathilde RESCH et Vincent VIEL (Université de Paris, UMR 8586 Prodig)

2020 – Feuille n°4

Objectifs :

Présenter l’enseignement de la géographie de l’eau à l’Université française en général, et tout particulièrement à l’Université de Paris (ex. Paris7-Diderot)

Trois Feuilles proposées:

  • Feuille de progression, L2, CM/TD, “Hydrogéographie et ressources en eau”
  • Feuille de CM, L3, “Épistémologie de l’hydrogéographie”
  • Feuille de terrain, M1, master GAED, “Techniques de terrain et de laboratoire”

Type : feuille de progression, CM, TD

Niveau : Licence 1

Mots-clés : Enseignement, hydrologie, géographie, hydrogéographie

Pour citer cette Feuille : Lavie, É., Resch, M., et Viel, V. 2020. “La géographie de l’eau et son enseignement à l’Université”, Feuilles de géographie, 2020-4, 38 p.


Introduction. Le paysage institutionnel de la géographie de l’eau à l’Université

La géographie de l’eau n’est pas enseignée en tant que telle dans tous les départements de géographie de France. Beaucoup y font référence dans des cours d’environnement, mais les séances spécifiques ne sont pas généralisées 1. Il faut savoir que la branche de la géographie de l’eau, ou hydrogéographie, a beaucoup évolué sur le demi-siècle passé et que les enseignements sont logiquement indexés à des laboratoires de recherche plus spécialisés sur cette question.

Si l’on fait un bref historique, appuyé sur les travaux de collègues hydrogéographes (Bravard, 1996; Laganier et al.,2009; Blanchon, 2011), l’hydrogéographie s’est d’abord développée chez les géographes sous l’égide de Maurice Pardé (1894-1973), qui a donné naissance à la potamologie2 à la suite de ses travaux sur les crues du Rhône (Pardé, 1964). Jusqu’au début des années 1970, c’est l’hydroclimatologie qu’il portait qui a dominé dans les publications en hydrogéographie française (Laganier et al.,2009). Pour autant, des études ont été menées sur l’impact des activités anthropiques, avec notamment les travaux de Jacques Béthemont sur l’espace hydraulique rhodanien (Béthemont, 1972, 1977). Enfin, à partir des années 1970, l’hydroclimatologie a peu à peu été supplantée par l’hydrogéomorphologie, qui ajoutait à la variable pluviométrique la place des bassins versants et des dynamiques amont-aval dans la compréhension des processus d’écoulement.

L’hydrogéomorphologie a, à son tour, dominé les productions scientifiques en géographie de l’eau, s’enrichissant du développement de la systémique suite aux travaux de Stanley A. Schumm sur le système fluvial (Schumm, 1977) et de l’apport de la biogéographie dans la compréhension des processus. L’approche systémique de la géographie de l’eau en France est restée particulièrement proche de ses origines lyonnaises puisque la plupart des travaux publiés l’ont été sur le Rhône. On notera par exemple les publications sur le Haut-Rhône de Jean-Paul Bravard, et de ses étudiants (Laurent Astrade, Jean-René Malavoi, Hervé Piegay, etc.), ou pour le Bas-Rhône de Mireille Provansal et de ses étudiant.e.s (Gilles Arnaud-Fassetta, Cécile Miramont, Thierry Rosique, Serge Suanez, etc.). Le développement du concept d’hydrosystème est aussi issu de cette longue histoire de la géographie française du Rhône, concept développé par le groupe de recherches PIREN Rhône dans les années 1980 (Roux 1982; Amoros & Petts 1993).

La fin des années 1980 marque un repositionnement de la géographie physique. En effet, l’émergence des questions environnementales appelle une approche plus complexe, multiscalaire et pluridisciplinaire des objets de la «nature» et notamment de l’eau (Gautier & Pech, 2016). Si l’analyse systémique permise par le concept d’hydrosystème répond à cette nécessité, l’attention portée aux processus tend à diminuer, alors même qu’ils sont à la base de l’expertise naturaliste sur laquelle se fondent les politiques de gestion de l’eau.

Parallèlement, la multiplication des impacts anthropiques sur le cycle de l’eau offre aux géographes humains des objets de recherches qui ont ouvert les champs de l’hydrogéographie, jusqu’alors plutôt dominée par la géographie physique. Le rapprochement des géographes avec des anthropologues et des agronomes ont alors orienté une partie des recherches sur le lien entre nature et culture, permettant l’émergence de travaux sur la gestion des ressources en eau, branche à laquelle s’est assez vite associée la géopolitique. Dans ce contexte, l’introduction du concept de cycle hydrosocial (Linton & Budds, 2014) issu de la political ecology 3 , développe des principes qui servent de grille de compréhension des relations eau/sociétés.

Le tournant du XXIe siècle en hydrogéographie française suit à nos yeux cinq orientations principales:

  • Une poursuite des travaux en hydromorphologie, s’intéressant au temps long (Nathalie Carcaud, Laurent Lespez, Gilles Arnaud-Fassetta) ou aux dynamiques actuelles, tant hydrologiques (M. Dacharry et plus récemment Emmanuel Gilles, Claire Delus) qu’hydro-sédimentaires (Emmanuèle Gautier, Frédéric Liébault). On observe également une ouverture sur l’évolution des hydrosystèmes dans un contexte juridique particulier comme l’application de la Directive Cadre européenne sur l’Eau (Régis Barraud et Marie-Anne Germaine, Frédéric Gob).
  • Une mobilisation accrue de concepts issus de l’analyse spatiale, destinés à mieux comprendre la complexité des processus hydrosédimentaires aux échelles intermédiaires (Daniel Delahaye, Romain Reulier, Vincent Viel, Etienne Cossart, Cyril Fleurant). Cette approche est souvent associée à l’utilisation d’outils de simulation et de modélisation (automates cellulaire, systèmes multi-agents, modélisations en stocks et flux, etc.) nécessitant des allers-retours fréquents avec des approches naturalistes plus classiques de géographie physique.
  • Dans les années 1990, le développement d’une géographie des risques faisant suite aux nombreux aménagements hydrauliques qui, s’ils protègent en partie des extrêmes hydroclimatiques, participent à véhiculer l’image d’aléas contrôlés. Cette géographie des risques en ce qui concerne l’eau a surtout porté sur les crues et les inondations, partant d’une approche aléa-centrée et s’orientant vers une approche plus axée sur la vulnérabilité et la résilience (Patrick Pigeon, Helga-Jane Scarwell, Richard Laganier ou plus récemment Magali Reghezza-Zitt ou Johnny Douvinet);
  • À la fin des années 1990 des travaux sur les approches socio-techniques et de gestion des ressources en eau, ont été entrepris. Ces études ont concerné l’adduction en eau potable en ville (Catherine Carré, Olivier Coutard et Jonathan Rutherford pour les Nords, Sylvy Jaglin et Marie-Hélène Zérah pour les Suds par exemple), ou la gestion des pénuries en eau (Anne Honegger, Stéphane Ghiotti). On trouve aussi des approches par les réseaux d’eau dans l’anthropologie française, plus axées sur l’irrigation en zones rurales (Olivia Aubriot, Barbara Casciarri, Jeanne Riaux, Fabienne Wateau, (voir Casciarri et Van Aken, 2013));
  • Dans les années 2000, la découverte en France de travaux anglo-américains en political ecology, qui s’intéressent au rôle des jeux de pouvoir et aux relations financières qui circulent avec l’eau (David Blanchon, Olivier Graefe ou Géraud Magrin). Plus récemment, des approches plus critiques de la political ecology se sont développées autre travers de la radical political ecology et la critical physical geography.

Tous ces courants sont développés plus longuement et précisément dans “Epistémologie de la géographie de l’eau” (Feuille de cours CM/TD, L3).

Aujourd’hui, les enseignant.e.s-chercheur.e.s qui enseignent et, surtout, participent au montage des maquettes de Licences et Masters de géographie, sont généralement issu.e.s de cette histoire et de l’essaimage de ces approches à l’échelle des universités françaises. Il nous semble que si nous faisons une typologie de l’enseignement de la géographie de l’eau en France, quatre grandes orientations peuvent être dégagées:

  • Les enseignant.e.-chercheur/se.s (EC) rattaché.e.s aux UMR INEE4 proposent avant tout des approches à l’échelle des bassins-versants marquée par les processus(le LETG dans le grand Ouest, LGP à Meudon, le CEREGE à Aix-Marseille);
  • Les EC intégré.e.s dans des UMR INSHS5 présentent plutôt l’eau sous l’angle de ses usages (le LAVUE en Île de France, et G-EAU à Montpellier);
  • Deux Unités Mixtes de Recherches (UMR) sont à l’interface entre approches naturalistes et sociales (EVS à Lyon et PRODIG à Paris);
  • Et des unités ou laboratoires locaux qui n’ont pas l’eau dans leurs grands axes mais avec quelques EC (EDYTEM en Savoie, le LADYSS en Île de France, ESPACE et ART-DEV dans le Sud-Est, PASSAGES et LGPA dans le Sud-Ouest).

L’enseignement de la géographie de l’eau à l’Université de Paris au travers des maquettes

Les enseignements de l’hydrogéographie à l’Université de Paris6 s’étalent du L2 au M2. La Licence de Géographie et Aménagement est générale mais contient une spécialité Environnement avec des unités spécifiques à l’eau; le Master GAED (Géographie, Aménagement, Environnement, Développement) a quant à lui deux parcoursde spécialisation M1-M2 liés aux questions environnementales.

En Licence

Après une initiation, entre autres, au système Terre en Introduction à la géographie et à l’aménagement (L1-S1), tou.te.s les étudiant.e.s sont sensibilisé.e.s aux systèmes physiques en L1-L2 dans des unités fondamentales de Climatologie (L1-S2), Géomorphologie (L2-S3) et Biogéographie (L2-S4). À partir du semestre 4, ils/elles peuvent choisir des unités optionnelles de spécialisation: une unité concerne l’hydrosystème (Géographies de l’eau ; L2-S4) [Hydrogéographie et ressources en eau, Feuillede progression, L2, CM/TD]. L’analyse de situations variées, au Nord comme au Sud, permet aux étudiant.e.s de penser les questions et objets liés à l’eau via les processus naturels, mais aussi sous un angle social et politique. En L3, 1/3 des séances d’une UE concerne l’hydrogéomorphologie (Approfondissements en géographie physique); trois UE croisent les diverses branches de la géographie de l’environnement (Changements environnementaux et risques; Réseaux écologiques et dynamique de la biodiversité; Politiques territoriales et enjeux d’environnement). Enfin, en Épistémologie, Histoire et projet transversal, deux séances concernent l’évolution de la géographie de l’eau [voir “Epistémologie de la géographie de l’eau” (Feuille de cours CM/TD, L3]; elles permettent de la situer dans un cadre théorique plus large, articulé à d’autres disciplines (sociologie, anthropologie…) que les étudiant.e.s sont susceptibles de mobiliser plus tard dans leurs travaux de Master.

En Masters

Le Master Géographie, Aménagement, Environnement, Développement (GAED) de l’Université de Paris a deux blocs de spécialisation qui concernent la géographie de l’environnement: Espaces et Milieux, co-habilité entre biologistes et géographes de l’Université de Paris, et DYNARISK, co-habilité entre géographes de Panthéon-Sorbonne Paris1, l’UPEC et l’Université de Paris, via les UMR LGP et PRODIG.

En M1, environ 1/3 des unités sont générales pour tou.te.s les étudiant.e.s du Master. Elles portent sur la démarche scientifique et sur la méthodologie. Les 2/3 restants concernent les blocs de spécialisation. En M2, il n’y a plus de cours généraux, spécifiques aux étudiant.e.s du Master GAED, lesblocs de spécialisation coordonnent tous les enseignements.

Concernant la géographie de l’eau, le Master DYNARISK a une approche assez centrée sur les dynamiques morphologiques liées à l’eau d’une part, sur les enjeux de gestion de l’eau liés aux sécheresses climatiques d’autre part et enfin une orientation méthodologique très axée sur le terrain, commune à ces deux approches. En M1, une unité méthodologique est proposée à tou.te.s les étudiant.e.s mais presque exclusivement prise par celles et ceux se destinant à une formation d’environnement: Techniques de relevés de terrain et de laboratoire [“Technique de terrains et de laboratoire (Feuille de cours/sortie de terrain, M1)]. Dans le parcours DYNARISK, l’UE Risques porte pour 4 séances sur les relations entre processus hydromorphologiques et gestion des risques d’inondations dans différents domaines morpho-climatiques; une séance porte sur les risques de pénuries en eau. L’UE Étude intégrée d’un milieu qui a généralement lieu près de Carcassonne dans l’Aude est un stage de terrain de 5 jours sur la gestion des crues et inondations dans des bassins qui ont connu de vraies catastrophes en 1999 et 2018, ainsi que sur la gestion des usages de l’eau (potable et d’irrigation).

En Master 2 DYNARISK, co-habilité avec nos collègues de Panthéon-SorbonneParis 1 et de l’UPEC, un stage de terrain d’une semaine en Normandie porte sur les questions d’inondations en domaine de grandes cultures et leur gestion intégrée. Il vise à faire échanger les étudiant.e.s avec les principaux/ales acteur/rice.s de cette gestion et les amène à réaliser un diagnostic des risques sur différents bassins versants du Pays de Caux.

Différentes Feuilles

Nous proposons ici trois Feuilles:

Bibliographie

Amoros C. & Petts G.-E. (Dir.) (1993). Hydrosystèmes fluviaux. Paris, Masson, 300 p.

Benjaminsen, T.-A, Svarstad, H. (2009). «Qu’est-ce que la «political ecology»?», Natures Sciences Sociétés, 2009/1 (Vol. 17), p. 3-11. https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2009-1-page-3.htm

Béthemont J. (1972). Le thème de l’eau dans la vallée du Rhône. Essai sur la genèse d’un espace hydraulique. Thèse de doctorat de 3ème cycle en géographie, Saint-Etienne, 642 p.

Béthemont J. (1977). De l’eau et des hommes, essai géographique sur l’utilisation des eaux continentales. Paris, Bordas, 280 p.

Blanchon D. (2011). Hydrosystèmes et Hydropolitiques du Cap à Khartoum. HDR de géographie, Nanterre, Université Paris Ouest, 275 p.

Bravard J.-P. (1996). «Hydrologie continentale». InDerruaux, M. (Dir.) Composantes et concepts de la géographie physique. Paris, A. Colin, pp. 131–142.

Casciarri B. & Van Aken M. (2013). «Anthropologie et eau(x) affaires globales, eaux locales et flux de cultures». Journal des anthropologues 132-133, pp. 15–44. https://doi.org/10.4000/jda.4903

Dufour S. et Lespez L. (2019). «Les approches naturalistes en géographie, vers un renouveau réflexif autour de la notion de nature?», Bulletin de l’Association des Géographes Français, 2019-2, pp. 319-342. https://doi.org/10.4000/bagf.5196

Gautier E. & Pech P. (2016). «La reconstruction d’une «géographie naturaliste»». InChartier D., Rodary E. (Dir.) Manifeste pour une géographie environnementale. Paris, Presses de Sciences Po, pp. 325 –343.

Laganier R., Arnaud-Fassetta G. & Dacharry M. (2009). «Les géographies de l’eau –Introduction». Laganier R. & Arnaud-Fassetta G. (Dir.) (2009). Les géographies de l’eau -Processus, dynamique et gestion de l’hydrosystème. Paris, éditions l’Harmattan, pp. 11–22.

Linton J. & Budds J. (2014). “The hydrosocial cycle: Defining and mobilizing a relational-dialectical approach to water”. Geoforum 57, pp. 170 –180. https://doi.org/10.1016/j.geoforum.2013.10.008

Pardé M. (1964). Études potamologiques sur la Loire et ses affluents. Poitiers,éditions Sfil.

Roux A-L (1982). «Le Haut-Rhône français : lieu privilégié d’une recherche interdisciplinaire sur la gestion écologique des ressources en eau». Revue de géographie de Lyon, 57 (1), pp. 1–5. https://www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1982_num_57_1_3967

Schumm S.-A. (1977). The fluvial system.UCA, The Blackburn Press, 338 p.

Télécharger le texte de l’introduction


Liste des ressources

(Trois feuilles de cours)

Hydrogéographie et ressources en eau (L2)

Épistémologie de la géographie de l’eau (L3)

Technique de terrain et de laboratoire (M1)

Télécharger l’ensemble des documents


Ce cours fait partie du numéro spécial “Enseigner la géographie de l’environnement”: voir l’éditorial et l’ensemble des publications de ce numéro (à venir).

  1. On peut noter par exemple une UE Hydrologie marine et continentale en L2 à Brest, une UE Hydrologie et environnement en L2 à Lyon III, une UE Hydrosystèmes en L3 à Paris I Panthéon-Sorbonne,une UE «eaux et sociétés» à l’Université Caen Normandie ou le Master spécialisé GEDELO (Gestion de l’eau et développement local) à Paris-Nanterre
  2. Voir “Epistémologie de la géographie de l’eau” (Feuille de cours CM/TD, L3)
  3. La political ecology «analyse essentiellement le pouvoir et les luttes pour le pouvoir en matière de gestion de l’environnement, ce qui rend nécessaire de se concentrer sur les divers acteurs du secteur de l’environnement et les intérêts qu’ils défendent, ainsi que sur les discours établissant le mode de compréhension en vigueur des thèmes et des problèmes concernés» (Benjaminsen & Svarstad, 2009). Voir (“Epistémologie de la géographie de l’eau” (Feuille de cours CM/TD, L3)
  4. L’Institut Écologie et Environnement du CNRS.
  5. L’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS.
  6. Paris-Diderot (Paris 7) jusqu’en 2019.

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