Enseigner l’analyse spatiale aujourd’hui

Organisé le 10 janvier 2020, à Olympes de Gouges, Université de Paris

Enseigner l’analyse spatiale aujourd’hui. Cliché : Feuilles de géographie, 2020.
Enseigner l’analyse spatiale aujourd’hui. Cliché : Feuilles de géographie, 2020.

Organisation : Myriam Baron (Univ. Paris-Est Créteil), Marianne Guérois (Univ. de Paris), Feuilles de géographie.

Invité.e.s : Christina Aschan-Leygonie (Univ. Lumière Lyon 2), Claire Cunty (Univ. Lumière Lyon 2), Clarisse Didelon (Univ. Paris I Panthéon-Sorbonne), Serge Lhomme (Univ. Paris-Est Créteil), Stéphane Rican (Univ. Paris Nanterre).

Présent.e.s : environ 20 personnes

Prise de notes : Feuilles de géographie

Mise en forme et rédaction : Sylvestre Duroudier (Univ. Grenoble-Alpes), Myriam Baron, Marianne Guérois.

Conventions d’écriture : les éléments ajoutés par les auteurs du compte-rendu sont indiqués en italique entre crochets. Le nom des intervenants est indiqué en italique par leur nom et leur affiliation (limité au nom d’université de rattachement). L’affiliation n’est indiquée que lors de la première intervention.


Un troisième atelier pour FDG !

Depuis 2017, les Feuilles de géographie se sont lancées dans l’organisation d’ateliers-débats, avec comme objectif de faire émerger d’une discussion collective et collégiale des témoignages, retours d’expérience, opinions voire des prises de position sur certains thèmes et pratiques relatifs à l’enseignement de la géographie à l’Université.

Pour ouvrir l’année 2020, Feuilles de Géographie a organisé avec Marianne Guérois (Université de Paris) et Myriam Baron (Université Paris Est Créteil) un atelier-débat intitulé « enseigner l’analyse spatiale aujourd’hui » pour commencer à cerner la diversité des pratiques et des expériences dans différentes universités. Pour l’occasion, les échanges ont eu lieu sur le site Olympe de Gouge de l’Université de Paris (ex Paris 7, ex Paris Diderot), où l’analyse spatiale a occupé et continue d’occuper une place importante dans les progressions pédagogiques de licence et de master, comme dans les expériences des invité.e.s et du public au rendez-vous malgré les contraintes de déplacements dans les transports.

Les présentations des invité.e.s et les discussions qui ont suivi ont été riches et stimulantes, voire trop courtes. Elles ont donné matière à réflexion à chacun.e et auguré d’autres moments d’échanges à venir et à organiser sur nos pratiques. Cet atelier est l’occasion de rappeler que la revue Feuilles de géographie garde l’ambition d’être ouverte à tous.tes –tout statut et affiliation confondues– dans ses activités sur les problématiques de l’enseignement de la géographie à l’Université. Nous restons persuadé.e.s que celui-ci ne peut se cantonner à être le parent pauvre de la recherche et qu’il mérite sa place en tant que pratique professionnelle réflexive, exigeante et prétendant à un haut niveau de théorisation !

Pour ceux qui adhèrent à ces principes mais n’ont pu se joindre à nous, rien n’est perdu ! Suivez les activités des Feuilles sur le site de la revue en ligne https://feuilles-de-geographie.parisnanterre.fr. N’hésitez pas à proposer vos propres supports de cours et réflexions en soumettant vos travaux à notre comité de lecture exigeant, constitué de pairs, qui vous proposera des retours sur vos travaux ou vous invitera à vous rapprocher des différents axes de réflexions développés dans le cadre de la revue en nous contactant via notre adresse mail : feuillesdegeo@gmail.com.

Télécharger le compte-rendu de l’atelier-débat


Compte-rendu de l’atelier-débat

Introduction

Pour les Feuilles de géographie, Brenda Le Bigot [BLB] et Sylvestre Duroudier [SD] :

Depuis quelques temps, le comité éditorial des Feuilles de géographie avait l’idée de laisser la possibilité à d’autres intervenants d’initier l’organisation des atelier-débats. C’est chose faite pour cette troisième édition et nous remercions très chaleureusement Marianne Guérois et Myriam Baron pour cette initiative qui, après de longs mois de préparation, nous rassemble aujourd’hui. Les Feuilles de géographie remercient également les invité.e.s et l’ensemble des participant.e.s pour leur venue, malgré des conditions de transports incertaines jusqu’au dernier moment. Nos remerciements vont enfin au CIST et plus particulièrement à Sophie Vallet pour la logistique de salle à Olympe de Gouges.

Introduction de l’atelier-débat, Myriam Baron [MB] et Marianne Guérois [MG] :

Quelques mots de contexte

[MB] Marianne et moi tenons également à remercier les Feuilles de géographie pour l’organisation de cet atelier-débat qui concrétise une idée que nous avions depuis 5-6 ans. Nous remercions vivement les intervenant.e.s d’être là pour cet atelier « enseigner l’analyse spatiale aujourd’hui ». C’est une véritable gageure de trouver un espace-temps commun. L’analyse spatiale est un beau sujet pour y réfléchir, et ce d’autant plus aujourd’hui et ici, à partir de la notion d’accessibilité qui a conduit à choisir le site d’Olympe de Gouges, ouvert ou/et disponible à la différence des locaux de l’Institut de Géographie et donc finalement le plus proche en temps de trajet pour l’ensemble des intervenants et animateurs !

Pourquoi un tel débat ? Il renvoie d’abord aux réflexions et partages d’expérience que nous avons avec Marianne. Des réflexions qui portent sur l’évolution des pratiques d’enseignement de l’analyse spatiale depuis au moins trois décennies, mais aussi des réflexions sur la place de l’analyse spatiale dans les progressions de licence et master et sur ses liens, ses intersections avec d’autres enseignements dits plutôt « thématiques » ou « méthodologiques ». Si on parcourt l’ensemble des Feuilles de Géographie publiées, force est ainsi de constater que les ressources ne manquent pas pour enseigner les statistiques de base, la cartographie voire l’analyse de données. En revanche, on a moins abordé la/les manières dont l’analyse spatiale est enseignée, en lien plus ou moins serré avec les méthodes et les outils de la géographie voire des sciences humaines et sociales, voire avec les enseignements thématiques. Ce sont ces éléments que nous souhaitons explorer avec vous, dans un format d’atelier-débat qui est très stimulant intellectuellement (comme l’ont montré les précédentes éditions) et qui constitue à nos yeux une vraie plus-value dans les productions des Feuilles de Géographie.

Je termine en remerciant très sincèrement l’équipe des Feuilles pour avoir géré la logistique, et diffusé l’appel à participation à l’atelier-débat sur la liste de diffusion Geotamtam. J’ai notamment apprécié le dessin de l’accroche qui reprenait à la fois l’exemple du docteur Snow sur le choléra dans le quartier de Soho (Londres), et le clin d’œil du cosmonaute qui fait écho à l’école thématique “Statistiques, Cartographies et Analyse Spatiale” qui s’est tenue à Yaoundé (Cameroun) en 2006 !

Présentation des invités et des questionnements

[MG] Pour ces échanges, l’une des envies que l’on avait avec Myriam était de cerner les pratiques de l’enseignement de l’analyse spatiale dans différentes universités qui n’ont pas les mêmes héritages, ni les mêmes évolutions contemporaines quant aux types d’enseignement. On a donc contacté des collègues dont les trajectoires individuelles et collectives d’enseignement et de recherche étaient diverses :

  • Christina Aschan-Leygonie et Claire Cunty, maîtresses de conférences à l’université de Lyon 2
  • Clarisse Didelon, professeure à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne,
  • Serge Lhomme, maître de conférences à l’université Paris Est Créteil
  • Stéphane Rican, maître de conférences à l’université Paris Nanterre

Pour ces échanges, nous avons proposé à nos intervenants de nous indiquer leurs préférences pour intervenir par rapport aux trois principaux axes auxquels nous avions réfléchi au moment de la rédaction de l’appel. Pour mémoire les voici :

  • Le premier axe porte sur les contextes pédagogiques de l’analyse spatiale, et plus spécifiquement sur la progression des enseignements et leur poids aux différents niveaux des maquettes, les articulations avec d’autres enseignements. Ces contextes sont aussi ceux des pratiques d’enseignement mises en place, avec l’idée de partir d’exemples concrets, d’étude de cas pour mieux montrer et parler de nos expériences.
  • Le second axe de réflexion porte sur les évolutions des enseignements de l’analyse spatiale depuis plusieurs décennies, avec des interrogations notamment sur les effets des transformations des jeux de données et des techniques, des outils et des supports d’apprentissage de l’analyse spatiale.
  • Le troisième axe est plus épistémologique puisqu’il s’agit de réfléchir à l’articulation des enseignements d’analyse spatiale avec les autres champs de la géographie dans les contenus enseignés comme dans les formats.

Nous vous proposons de commencer par un tour de table des intervenants. Chacun dispose d’une dizaine de minutes pour présenter l’expérience dont il/elle souhaite rendre compte, en insistant sur sa trajectoire et ses pratiques d’enseignement de l’analyse spatiale. Après chaque intervention, on pourra prendre 2 à 3 questions, avant d’ouvrir plus largement le débat avec toutes les personnes présentes.

Tour de table : comment enseignez-vous l’analyse spatiale ?

Stéphane Rican [SR]

Contexte d’enseignement

J’enseigne l’analyse spatiale au département de géographie de l’université de Paris Nanterre, dans un contexte où un certain nombre de collègues ne sont pas portés sur les enseignements de géographie quantitative. L’analyse spatiale n’était pas très développée initialement et a été intégrée dans le cursus de licence en 2008.

Il s’agit d’une initiation dans un enseignement de 24h de TD de au second semestre de L2, qui a 3 objectifs majeurs :

  1. Replacer l’analyse spatiale dans la géographie : localisation des phénomènes, explications des processus. Je m’appuie pour cela sur la définition de l’analyse spatiale proposée par Robert Haining en 2003 : « Série de techniques et modèles prenant en compte explicitement la dimension spatiale des phénomènes étudiés ». Compte-tenu du volume horaire de cette initiation, il s’agit d’un éclairage indispensable mais partiel qui implique de resituer cette démarche dans une approche plus large des rapports espaces-sociétés : jeux d’acteurs, construction identitaires, représentations sociale, etc.
  2. Modéliser le réel et son fonctionnement qui passe par un certain nombre de choix heuristiques (sélection des objets, échelles, méthodes d’analyse, etc.), autant de filtres nécessitant d’avoir un regard critique à chaque étape de l’analyse.
  3. Acquérir des techniques et des outils, apprendre leurs utilisations pour produire et analyser des résultats.

Ce cours s’insère actuellement dans une progression pédagogique de l’apprentissage des méthodes quantitatives au sein de la licence Géographie et Aménagement de l’Université Paris Nanterre. Cette progression comprend un enseignement de cartographie et sémiologie au 2e semestre en première année de licence, un enseignement de statistiques au 3e semestre en deuxième année de licence, celui d’analyse spatiale au 4e semestre en deuxième année de licence, enfin une initiation aux Systèmes d’Information Géographique (SIG) au 5e semestre en 3e année de licence.

Evolution de l’enseignement au cours du temps

Au départ, dans cet enseignement consacré à l’analyse spatiale, je mettais en avant des concepts mobilisés en analyse spatiale à travers des études de cas issus d’articles (notamment ceux parus dans la revue en ligne Cybergéo https://journals.openedition.org/cybergeo/). Les étudiants ne mettaient pas en pratique les concepts vus au cours des séances. Cela s’est avéré être un inconvénient car cet enseignement était censé en partie préparer à l’utilisation des SIG en L3.

Aujourd’hui je mets l’accent sur la mobilisation des outils et la production de résultats à partir de l’analyse de cas concrets sur les enseignements d’apprentissage des méthodes de la 2e année de licence (pour mémoire ceux de statistiques-cartographie et d’analyse spatiale). Je me suis ainsi appuyé sur ma participation dans le projet de recherche GreenH-City pour inviter les étudiants à construire un diagnostic des espaces verts dans leur espace familier de résidence (localisation, emprise, accessibilité…). Ce projet mobilise différentes phases de l’analyse spatiale : problématisation ; collecte d’informations (IGN, INSEE, Openstreetmap, etc.) et approche critique des sources utilisées ; construction d’indicateurs (calcul de distance, indicateurs socio-démographiques, densité d’équipements) et articulations d’échelles, d’entités spatiales et de maillages spatiaux ; développement des analyses de semis de points (analyse des centralités urbaines), des réseaux, des continuités et discontinuités (organisation socio-spatiale). Ce travail permet de mobiliser des techniques statistiques, cartographiques, d’analyse spatiale. La restitution se fait sous forme de travaux réguliers abordant chaque dimension, rassemblés en fin de parcours en vue de constituer un dossier final.

Pistes de réflexion

  • J’éprouve une difficulté à faire passer cette approche de l’analyse spatiale et ces outils à des étudiants qui ne font pas appel d’eux-mêmes à ces questionnements en géographie. Cela ne correspond pas forcement à une attente de leur part. Est-ce que, d’une certaine manière, ce n’est pas un apprentissage qui ne doit pas venir plus tard, en master ? Ont-ils besoin de ces outils en licence ?
  • L’articulation entre l’apprentissage conceptuel et technique est compliqué et prend énormément de temps. J’essaye de gagner du temps en produisant des tutoriels les plus détaillés possibles pour passer le moins de temps possible sur les aspects strictement techniques. Sur un module de 24h, on a du mal à couvrir tous les objectifs. Je suis preneur si vous avez des « recettes », des solutions à proposer.
  • L’articulation entre l’analyse quantitative et l’observation de terrain : il est nécessaire de faire des allers-retours qu’on n’a concrètement pas le temps de toujours aborder dans le temps du cours. Par contre, c’est quelque chose sur lequel on insiste dans le master Territoires, Villes et Santé (cf. compte-rendu de l’atelier-débat précédent https://feuilles-de-geographie.parisnanterre.fr/2018/09/28/retour-sur-latelier-debat-geographes-hors-les-murs/).
  • Le format hebdomadaire ne me semble pas adapté à l’apprentissage de ces outils. Il vaudrait mieux une formation intensive sur deux semaines, en mode immersion, ce qui serait beaucoup plus profitable aux étudiants.

Questions de la salle

[SD] Cela signifie-t-il que le cours d’analyse spatiale est une étape dans laquelle il y a des concepts déjà infusés à partir de celui consacré aux bases des statistiques et de la cartographie thématique, qui sont ensuite remoulinés dans l’enseignement de L3 ?

[SR] Non, il n’y a pas de retour sur les contenus des enseignements de L2 en L3, mais on réfléchit à la progression. Cela pourrait être quelque chose à réfléchir de poursuivre ces éléments d’apprentissage en SIG. Dans les faits, on fait travailler sur des SIG dès la L2, dans la mesure où on travaille sur QGIS en analyse spatiale.

[SD] Et est-ce qu’il y a des débouchés mobilisant l’analyse spatiale dans les masters de Nanterre ?

[SR] oui, le master GAED ou Géographie s’appuie, aux travers des projets tutorés mis en place sur une forte mobilisation des outils de l’analyse spatiale dans les 3 parcours proposés au sein de ce master.

[Sophie Vernicos, SV, Université de Nantes] Il y a une question sur le fait que ce ne sont pas toujours les étudiants que l’on forme en licence que l’on récupère en master : la concordance entre les deux niveaux de formation est une difficulté supplémentaire inhérente à la réflexion sur le contenu de la formation.

Serge Lhomme [SL]

Jusqu’à présent, il n’y a pas d’enseignement d’analyse spatiale à Créteil. Mes interventions se font en géomatique 1 et 2 en 3e année de licence (aux semestres 5 et 6). Dans cet enseignement, deux possibilités : soit on pousse les possibilités techniques en Système d’Information Géographique (SIG), soit on introduit de l’analyse spatiale. La difficulté provient notamment du fait que ce cours doit également introduire des éléments de télédétection.

Quelques heures sont toutefois sanctuarisées pour l’analyse spatiale dans ce cours en L3. J’ai une approche qui part des modèles quantitatifs de l’analyse spatiale, à la fois par affinité et par contrainte de temps, avec l’avantage de permettre une utilisation assez poussée des outils classiques (QGIS, Excel). Par exemple, le modèle gravitaire a des vertus pédagogiques et je le présente en plusieurs étapes sur un volume total de 4h30 à 6h :

  • L’introduction est assez courte et historique, amenant à la formulation mathématique.
  • La première heure est un échange avec les étudiants sur la formule mathématique en décortiquant les composantes. Cela permet de faire émerger les concepts d’interaction et de distance, et leurs enjeux. Et à partir de cette première interaction avec eux, il s’agit ensuite d’appliquer le modèle sur des thématiques qui ont émergées.
  • Après avoir « fait peur » aux étudiants avec les formules, 2h environ reviennent à la manipulation technique de jeux de données sur des mobilités pendulaires ou sur des migrations. Cette étape passe par la limitation de la liberté des étudiants dans la manipulation, on est sur un travail très dirigé laissant peu de place à des explorations personnelles.  Il convient surtout d’expliquer pas à pas les différentes composantes du modèle à partir des outils techniques dont on dispose et de donner du sens à chacune des opérations effectuées.
  • Puis pendant 1h30-2h, il s’agit d’analyser des résultats produits. Est-ce qu’on est satisfait du modèle ? La prise en compte de la distance est-elle importante ou non ? Quelles significations donner aux constantes dans le calcul ? Quel est l’intérêt du modèle ?
  • S’il reste du temps, on regarde s’il y a une possibilité d’améliorer le modèle.

Limites de cette approche : on observe deux publics dans cet enseignement. Le premier va se raccrocher à la partie technique de la manipulation et éprouve des difficultés à monter en généralité et en abstraction. Le second public, que je qualifierais de « plus analytique », va se dire qu’il y a de la place pour réfléchir, même s’il n’a pas la maîtrise technique. Très peu d’étudiants arrivent à équilibrer ces deux approches dans un enseignement qui s’avère exigeant.

Avantages : de manière générale, les étudiants vont oublier l’approche par type d’analyse. Cela va laisser de la place à des étudiants pour qui la pratique inductive, pas à pas, peut les sortir de l’eau.

Clarisse Didelon [CD]

Mes enseignements en analyse spatiale se déclinent en deux expériences.

La première renvoie aux 10 années que j’ai passées à l’université du Havre en tant que maîtresse de conférences, au sein du département Lettres et Sciences humaines de cette petite faculté, avec des enseignements concernant uniquement des licences bi-disciplinaires. La plupart des collègues (en grande partie historiens) étaient hostiles à toute forme d’analyses quantitatives et statistiques, et cela était dit et enseigné aux étudiants. Dans ce contexte, il y avait un cours de L3 de chorématique (« Introduction aux théories et modèles en géographie »), certainement le dernier en France en 2013 ! J’ai profité de ce créneau, et ceux dits de « stats-carto », pour faire « clandestinement » de l’analyse spatiale, que j’ai ensuite transmis à Athanase Bopda. Il a fallu dédramatiser le contenu auprès des étudiants, en faire sans le dire, simplifier et rendre la chose compréhensible et peu effrayante. Pour cela, j’ai commencé à inventer un pays imaginaire, le « Biscornustan », qui a sa propre carte, un despote éclairé qui fait des choses absurdes en aménageant l’espace. Les exercices sont donc assez drôles dans ce cadre imaginaire, que j’ai consolidé peu à peu au fil des années.

La seconde expérience renvoie à mon recrutement comme professeure à l’université Paris 1, dans l’UFR de géographie. C’est un tout autre contexte puisque les promos sont démultipliées avec 180 étudiants en L3 contre une quinzaine d’étudiants inscrits en majeure géographie au Havre. Et surtout, l’enseignement d’analyse spatiale est un « héritage » presque « sacralisé », avec des volumes d’heures importants (1h30 de cours et 1h30 de TD hebdomadaires). Lors de mes deux premières années, il y a eu des interférences assez fréquentes avec une autre professeure qui souhaitait que je projette les vidéos de ses MOOC durant mes cours en amphi. J’ai découvert aussi que les étudiants du Havre ont un niveau plus faible, car ils ont vu moins de choses en géographie dans une bi-licence par rapport à des étudiants de Paris 1 où la formation est bonne en statistiques et cartographie en L1 et L2. Ils ne sont cependant pas si différents des étudiants de Paris 1 en terme d’appétence pour l’analyse spatiale. A Paris 1, en L3, les étudiants ont pour beaucoup un profil littéraire et pas du tout mathématique, avec une part importante d’étudiants issus de classes prépa qui « tournent de l’œil à la formule de l’écart type », et une appétence plus forte pour la géographie dite critique que pour la géographie dite quantitative. On termine ainsi l’année avec 30-40% de l’amphi !

A Paris 1, le cours s’organise en 12 séances de CM et de TD (environ 8-9 groupes en parallèle). L’objectif est de faire découvrir les concepts et les méthodes, mais dans des conditions pratiques difficiles puisqu’il n’y a pas vraiment de salles informatiques en nombre suffisant à l’Institut de géographie. Les exercices se font sur une feuille, avec une calculatrice et des crayons de couleur. L’objectif est donc de donner un panorama des concepts et des méthodes en abordant tout, du semis de points au modèle gravitaire et  leur faire comprendre l’intérêt que ça peut avoir pour eux quand ils seront en master ou ensuite. L’objectif est aussi que les concepts et aspects théoriques puissent être maîtrisés, et qu’ils n’aient pas à rougir quand ils arrivent en M1 entre les mains de Marianne [MG] et Malika [Malika Madelin, MM, Université de Paris] face aux étudiants de Paris 7 qui sont réputés « moins littéraires » mais plus « mathématiques ». Comme les étudiants de Paris 1 ont une forte appétence pour la géographie critique, je leur fais comprendre lors de la première séance de CM, que ce cours leur offre la liberté de pouvoir rejeter l’analyse spatiale et plus largement les méthodes quanti en connaissance de cause (parce qu’ils sauront ce que c’est) et pas par déficit de connaissance. S’ils font par la suite le choix du quali, ce sera un vrai choix et pas un choix par défaut. Généralement cet argument fait mouche ! C’est un cours un peu flottant, qui n’a pas de lien avec les autres enseignements et est isolé dans la maquette… Alors j’ai à nouveau fait des cours « clandestins » : par exemple en L2, en diagnostic territorial où sur le terrain il faut montrer un exemple de gradient et de discontinuité ; ou encore en introduisant des concepts d’analyse spatiale dans le cours sur la mondialisation en L3.

L’avantage à Paris 1, c’est que j’ai la main sur le CM et le TD, et par exemple je peux décider de dire qu’il n’y a pas d’interrogation sur les formules. Le CM leur donne la maîtrise épistémologique, les concepts et quelques formules, tout en assumant que ce n’est pas le principal et que ce ne sera pas la question au partiel. En TD, j’ai récupéré un fascicule qui avait sédimenté depuis tout le temps que le cours existe. Maintenant, pour chaque séance, j’essaie de prendre au moins un exemple théorique au Biscornustan, et un exemple concret et récent  avec quelques calculs. Pour prolonger la séance, je mets des exemples d’application en ligne pour montrer toutes les boites à outils qui s’ouvrent à eux et qu’ils pourront mobiliser en master ou dans leur vie professionnelle.

Remarques de la salle

[MB] Je me permets de faire un premier constat et d’apporter quelques précisions après ces 3 premières présentations. Les contextes d’apprentissage en licence à Nanterre ou à Créteil où les approches quantitatives sont très peu présentes, sont très différents de celui de Paris 1. Pour justifier de telles différences, le niveau des étudiants est souvent mobilisé, plutôt que d’indiquer d’emblée les centres d’intérêt des collègues. Ainsi, à Créteil, on a réussi à reprendre la main depuis 2014 sur les cours de stats-carto de 2e année de licence, qui étaient auparavant assurés par une collègue qui n’était pas géographe. Toutefois, on se limite aux éléments de base de la statistique uni- et bivariée et il y a très peu d’analyse spatiale. Cet « héritage », pour reprendre le terme employé par Clarisse, est un handicap certain.

Christina Aschan-Leygonie [CAL] et Claire Cunty [CC]

A l’université Lyon 2, l’enseignement d’analyse spatiale remonte à l’arrivée de Christine Zanin [MCF, Université de Paris, CZ], la seule non agrégée qui a voulu faire des statistiques et de la cartographie, alors que les collègues n’y connaissaient pas grand-chose. Cela a été très dur pour elle de réussir à imposer des enseignements en géographie dite « quantitative » dans un cadre où prévalait la géographie régionale. Elle a réussi à développer des enseignements de statistiques, de cartographie, d’analyse spatiale, et un cours de 12h combinant SIG et télédétection dans un contexte qui renvoie aux débuts de la diffusion des géotraitements informatiques.

L’équipe a été renforcée par mon arrivée puis celle de Claire Cunty. Cela a permis d’augmenter le volume horaire en licence, puis plus récemment de créer un master de géomatique (Master Géographies Numériques GeoNum https://mastergeonum.org/ – co-accrédité avec l’Université de Saint-Etienne et l’ENS de Lyon). L’enseignement d’analyse spatiale présentait au départ de grandes similitudes avec celui de Paris 1, avec des exercices et des calculs réalisés à la calculatrice ou avec un tableur. L’enseignement d’analyse spatiale avait lieu dans une période faste : 42h lors du deuxième semestre de la licence 2 (suite à un semestre de 42h de Carto-Stat au S3 et 21h de SIG à chaque semestre de L3). Le format privilégié était celui d’enseignements en groupes d’étudiants en nombre réduit qui intégraient des parties théoriques dispensées durant les TD (il n’y avait pas de CM associé au TD).

Ce format d’enseignement dit intégré n’a pas tenu au changement de maquette et a subi une réduction drastique des volumes qui a impacté les contenus : en L2 on apprenait Philcarto et beaucoup de statistiques puis l’analyse spatiale sur Excel, et seulement en L3 les SIG. Il y a eu une volonté de changer et de favoriser l’apprentissage des SIG dès le début du cursus pour permettre aux étudiants de travailler sur un même outil tout au long de leur cursus. L’analyse spatiale est enseignée aujourd’hui au semestre 6 de licence, et s’appuie sur l’utilisation des SIG, ce qui suppose que les étudiants ont acquis les bases de connaissances théoriques et techniques des SIG en amont. Le cours s’inscrit dans la continuité de la progression : S3 pour statistiques et cartographie, S4 pour la manipulation de données dans un SIG (sélection, jointure, calculs de champs, projection), S5 pour une chaîne de géo-traitements dans un SIG, et S6 pour l’analyse spatiale sans contenu technique nouveau du point de vue des manipulations en SIG. Et le format actuel est de 7h de CM et 14h de TD pour ce cours, donc avec une réduction drastique qui implique très peu d’heures de travail en salle informatique et beaucoup d’heures en autonomie.

L’utilisation de l’outil SIG en TD d’analyse spatiale est plus simple et sympathique à gérer si on a évacué la question technique déjà traitée dans les semestres précédents. Les étudiants sont plus à l’aise, connaissent les SIG, et trouvent l’analyse spatiale plutôt facile et agréable (comparé à l’apprentissage des différents outils de géotraitement, par exemple). En CM, on aborde des questions classiques : c’est quoi ? où ? pourquoi ? comment ? ; les problématiques liées aux distances : accessibilité, matrices de distance, semis de points. En TD, en format intensif, on commence par la question « qu’est-ce que l’analyse spatiale ? » et l’exemple du l’épidémie du choléra de docteur Snow est une très bonne introduction à l’analyse spatiale. Nous avons adapté et complété un exercice mis en ligne (https://www.gislounge.com/john-snows-cholera-map-gis-data/). A partir des données localisant les morts et les pompes à eau, différents outils sont utilisés : la distance euclidienne, la distance kilométrique sur le réseau de rues, ou des comparaisons des mesures à partir des polygones de Thiessen pour montrer les zones d’attraction (en mode raster et vecteur). D’autres TD abordent l’analyse multivariée et les questions d’autocorrélation spatiale globale et locale, ou encore les distances dans des réseaux, avec par exemple un travail sur les stations de métro à Montréal.

Une partie du travail renvoie à la constitution d’un dossier sur les inégalités spatiales dans la ville de Lyon : les étudiants choisissent un quartier et doivent en montrer la spécificité par rapport à la métropole, en articulant une approche d’analyse spatiale (en mobilisant obligatoirement 3 méthodes vues dans le cours) et une approche qualitative (entretiens, observations, cartes mentales) qui sont présentées en 10,5 h de CM (assurées par une collègue). Cet enseignement qui articule analyse spatiale et approche qualitative s’appelle « recueil et traitement de données en géographie ». Le suivi sur le dossier qui permet de faire le lien entre les deux approches, analyse spatiale et méthodes qualitatives, se fait sur tout le semestre et donc en dehors des heures du volume de cours prévues. Ce qui nécessite de notre part un certain investissement « bénévole » notamment pour des heures de « permanences » où nous sommes présentes pour aider les étudiant.e.s sur leurs dossiers.

Les points positifs sont que les étudiants font de l’analyse spatiale avec des outils SIG qu’ils maîtrisent déjà. Cela les amène à poser et se poser pleins de questions sur le choix des paramètres : pourquoi la distance euclidienne ou empirique ? Quelles différences de résultats ? Quel est l’apport de chacune des distances ? Cela permet aussi d’insister sur l’interprétation : est-ce que les résultats sont différents et qu’est-ce que cela signifie sur le plan thématique ? Un autre point positif est que ce cours permet malgré tout de continuer à apprendre et travailler les SIG, en combinant des outils et différentes données raster et vecteur, de voir ce que cela change dans les résultats. Cela renforce leurs compétences sur la recherche des données tout en faisant le lien avec le terrain : en pratique, mais aussi avec les ortho-photographies et les images satellites.

Les points négatifs sont qu’on reste dans un aspect clic-bouton du SIG. On ne va pas dire que tous les étudiants sont des génies, il ne faut pas se leurrer, et une partie d’entre eux ne comprennent rien à ce qu’ils font : ils changent les paramètres et obtiennent des résultats sans que ça leur fasse de l’effet. Aussi, il faut leur poser beaucoup de questions pour les guider, être imaginatif dans les supports de TD, inciter les étudiants à interpréter les résultats en basculant par exemple entre l’affichage d’un coefficient d’autocorrélation spatiale locale et une ortho-photographie. Comme Serge Lhomme à Créteil, nous présentons les formules, nous les décortiquons en CM mais très peu d’étudiants les réemploient ensuite (par exemple pour mieux comprendre les changements de résultats quand les paramètres varient).

Débat sur l’enseignement de l’analyse spatiale

[MB] Merci beaucoup pour ces présentations qui nous laissent déjà entrevoir des expériences très riches en retours réflexifs ! Nous vous proposons de commencer ce débat, en revenant sur deux éléments qui renvoient à des questions que l’on s’est posées avec Marianne :

  • Le premier élément a été évoqué par Stéphane [SR] : comment inculquer aux étudiants les notions d’analyse spatiale en licence alors que cela ne rencontre pas forcément leurs attentes ? Et qu’ils ne voient pas comment les articuler avec d’autres approches qu’ils apprécient davantage. Est-ce que ça ne vaudrait pas le coup d’attendre qu’ils se les posent pour les initier à l’analyse spatiale ? Cela me rappelle de nombreux échanges sur ce même sujet avec Hélène Mathian [CNRS, UMR EVS, HM] : pourquoi on leur inculque tout cela, et qu’est-ce qu’il en reste au bout du compte ? Cette question n’est pas si facile que cela. J’ai tendance à défendre la position suivante : il est bon voire nécessaire que les étudiants aient entendu parler au moins une fois de l’analyse spatiale car cela fait partie de leur paysage d’apprentissages. Ainsi, pour rebondir sur la présentation de Clarisse [CD], à partir de leurs années de master et en fonction des questions qu’ils auront à traiter, ils pourront se tourner vers les approches en analyse spatiale. J’ai tendance à produire les mêmes arguments pour tout ce qui relève des enseignements de méthodologie et d’outillage en géographie. Au-delà de la présence ou d’enseignements d’analyse spatiale dans les formations de licence et aménagement, se pose la question de ce qu’on attend des étudiants à la fin de la licence, dans un contexte d’autonomie de plus en plus forte des établissements et d’absence de programmes relativement unifiés des licences.
  • Le second aspect concerne les équilibres ou les points d’intersection assez souvent trouvés avec d’autres enseignements importants, notamment ceux de méthode et d’outillage (SIG, statistiques, cartographie). Quand on travaille sur les distances, l’autocorrélation spatiale, comment trouver des points d’accroche pour partager des liens forts, créer des points d’intersection voire d’ancrage avec des enseignements dits thématiques, par exemple ceux consacrés à la mondialisation voire la géographie économique ? Ce sont des choses que certain.e.s d’entre nous ont essayé de faire mais qui s’avèrent très compliquées. Parmi nous, en fonction de nos expériences, quelles tentatives ont avorté ? Quels sont nos/vos succès ?

[CG] Dans vos différentes interventions, vous avez parlé de clandestinité, de milieu hostile, pourtant deux choses sont à prendre en compte dans ces cas d’hostilité :

  • Dans le cas de l’université de Paris, je crois que ce qui fait que l’enseignement de l’analyse spatiale se maintient c’est l’alliance entre la géographie dite physique et la géographie dite humaine : notamment le fait que les outils soient assez abstraits pour intéresser un hydrologue ou un géographe humain quand on parle de réseaux, voire pour les urbanistes même si c’est plus difficile. On monte en abstraction et c’est bon pour tout le monde.
  • C’est aussi important de parler aux littéraires khâgneux, comme je l’ai remarqué en M2. Ce qui les décoince est de désagréger, de travailler sur des gens, de partir des individus, et ensuite seulement on construit la donnée agrégée avec eux. On part du recensement, du niveau individuel et des IRIS, et on agrège : par exemple avec les résidences des MCF et PR de Paris 1, particulièrement concentrés à l’époque dans le sud des Hauts-de-Seine. Le passage par l’individuel permet de lutter contre les collègues qui ne veulent que de l’entretien qualitatif.

[MG] Ce que je trouve intéressant ce sont les stratégies différentes d’accroche dont vous nous avez rendu compte, notamment les exemples ludiques ou les outils pour « amadouer » les étudiants en licence. Pour compléter ces expériences, je mentionnerai des exercices partant de documents ou de données pas forcément géographiques, comme un corpus monté par Luc Guibard [Université de Paris, LG] et Romain Leconte [Université de Paris, RL] sur des données de la CAF, qui permet de montrer comment on construit de l’information géographique agrégée à partir de données individuelles localisées. C’est aussi quelque chose qu’on voyait avant en L3 avec un exercice sur la scientométrie et les différentes manières de traiter les copublications dans les classements mondiaux de la recherche, en ne tenant compte par exemple que de la localisation de l’établissement du premier auteur. Cela permet de partir de données individuelles brutes, qui n’ont pas été collectées dans une perspective d’analyse scientifique, et de voir comment on peut répondre à des questionnements sur les dynamiques résidentielles (pour les données de la CAF) ou sur les lieux de production de la science (pour les données de scientométrie) en s’appuyant sur un tableau d’information géographique construit à partir de ces données.

[CG] L’avantage de ton côté Marianne est que tu fais cours avec Malika [MM], qui est climatologue.

[MG] En master, oui, il y a des séances communes avec Malika, également avec Céline Clauzel [Université de Paris, CC] qui est biogéographe. Ce n’est pas évident a priori car la grande majorité des étudiants de ce master ne sont pas spécialisés en environnement. Mais à travers des exemples sur l’interpolation de données environnementales ou sur les graphes paysagers, on souhaite partager avec les étudiants des questions plus transversales, par exemple sur le passage des données ponctuelles aux données surfaciques ou bien sur l’interprétation des indicateurs de la théorie des graphes pour l’aide à la décision. 

[CD] La difficulté n’est pas tant l’hostilité des étudiants « littéraires », mais le fait qu’on doit reprendre les fondamentaux de statistiques et de cartographie, avec des L3 qui ont déjà fait ça et qui se demandent pourquoi on le revoie alors même qu’ils se sentent diminués par rapport aux autres en ne venant pas de prépa. Par contre à la fin, les étudiants de prépa ont peut-être mieux saisi les finalités de ce qu’on enseigne, alors que beaucoup n’ont pas vu la différence ou l’intérêt.

[CG] Et pour faire face aux littéraires, à un public hétérogène, il faut changer les modes d’évaluation. Par exemple un devoir avec 10 points sur la formulation de bonnes questions sans y répondre, donc un aspect littéraire, et l’autre moitié des points sur la réponse technique et la mise en œuvre. Quand je faisais le M1, j’ai fait ça avec la carte de Snow, avec la matrice des votes à l’eurovision… Alors les littéraires khagneux posaient des supers questions, mais sur le plan technique il n’y avait rien. Seulement 2-3 arrivaient à faire les deux. Ce qui rejoint les constats faits par [SL] pour les étudiants de L3 à Créteil.

[CAL] Juste un complément pour dire que nous n’avons pas vraiment essayé de faire les liens avec d’autres disciplines ou d’autres UE. On « se limite » à la progression que l’on a contribué à construire et à sa consolidation.

[SR] A Nanterre, on essaie ponctuellement de créer des articulations avec des enseignements « thématiques », par exemple avec les TD sur les villes ou les espaces ruraux. Les étudiants s’appuyaient dans les différents TD sur les mêmes données par exemple issues de la Banque mondiale. Ça marche assez bien si c’est bien préparé en amont avec les collègues.. Mais ce n’est pas toujours facile d’avoir le même rythme de progression entre 2 TD..

[SL] Oui pour les enseignements de stats-carto, les relations avec d’autres enseignements se font assez bien à Créteil. Par exemple, avec une initiation aux techniques d’enquête, il y a des séances en fin de semestre qui peuvent être utilisées pour saisir les questionnaires passés et faire quelques traitements de base. Pour l’analyse spatiale, cela se fait peut-être plus simplement car on n’enlève pas la thématique et quand je vois un modèle je me rends souvent compte que cela a déjà été traité par exemple en géographie urbaine ou en géographie économique. Les étudiants ont pu en entendre parler. Mais de là à créer des interactions… Elles sont multiples et parfois subtiles !

[Etienne Toureille ; CIST, ET] J’ai deux questions sur ces aspects d’interaction(s) avec d’autres enseignements :

  • D’abord je me suis parfois retrouvé à utiliser d’autres cours pour enseigner des contenus qui n’en relèvent pas a priori : par exemple de la cartographie dans un cours de SIG. Alors par rapport aux publics littéraires hostiles que décrivaient Claude, et dans lesquels je me reconnais étant moi-même concerné et faisant aujourd’hui de l’analyse spatiale, je me demandais dans quelle mesure ces publics sont capables de faire la différence entre l’analyse spatiale, les différentes statistiques, la cartographie, les SIG… Parce que peut être que pour ces gens tout ça c’est pareil et l’analyse spatiale est un cours fourre-tout car on fait des mathématiques, de l’informatique, de la carto…
  • D’autre part, par rapport aux outils, il y a pas mal de cours où l’utilisation de nouveaux logiciels et notamment de programmation type R ont créé de nouvelles appétences et capte des publics qu’on n’avait pas forcément avant. Dans quelle mesure les nouveaux outils SIG et autres, valorisés sur le marché du travail, ont un effet d’attraction et permettent de capter des étudiants réfractaires ?

[CD] Pour compléter là-dessus, souvent des étudiants viennent me voir à la fin et me demandent à quoi ça sert. Et donc maintenant en CM, j’essaie de leur mettre la liste d’emplois qu’ils peuvent décrocher avec les concepts et les outils associés. Cela marche hyper bien. Autour de nous on a plein de collègues qui ont été embauchés pour des emplois sur l’analyse de réseau. Mais je leur montre qu’au-delà de l’outil ce sont aussi les connaissances, les concepts. Ça a tellement bien marché que, dans la foulée, ils voulaient tous faire de l’analyse de réseaux, et ils en parlent encore au second semestre dans le terrain de L3. Ici ce n’est pas tant l’outil, par exemple R, que le type de connaissances utiles.

[MB] Je voudrais répondre un peu à Etienne [ET] et rebondir sur les questionnements de Clarisse [CD] sur la difficulté à faire évoluer les cours et faire écho aux remarques de Claire et Christina. Je me souviens d’un débat entre les enseignants de Paris 1 et Paris 7, qui intervenaient dans toute la filière « méthodes et outils », sur l’articulation possible, souhaitable ( ?) entre enseignements consacrés aux SIG et ceux d’analyse spatiale : est que l’un est soluble dans l’autre ? A l’époque il y avait vraiment des guerres de position sur le fait d’intégrer les cours de systèmes d’information géographique dans l’analyse spatiale, et quelque part ça tournait presque à la guerre de génération en fonction de la « modernité » des cours. Avec le risque que de telles postures finissent par brouiller les messages entre les enseignements. Comment séparer les éléments les uns des autres ? Je ne suis pas sûre qu’il y ait une méthode facile. A partir de mon expérience d’enseignements en géographie économique, j’essaie autant que possible de présenter des contenus thématiques et de faire un point méthodologique voire plus, par exemple sur les échanges commerciaux et les modèles d’interaction spatiale, les changements de localisation de certaines productions et la diffusion spatiale des innovations.

Le principal problème soulevé par Christina [CAL] et Claire [CC] est la réduction drastique des heures. Plus ça avance plus l’analyse spatiale passe aussi dans d’autres cours, d’autres caisses de résonance. Et plutôt que de se lamenter qu’on ne peut plus faire grand-chose dans les horaires dédiés, soit on se concentre sur l’essentiel, soit on pense à d’autres articulations avec des enseignements moins « exposés » ou à investir comme des enseignements dits thématiques. Et peut être qu’une partie de la solution passe donc par une meilleure articulation entre les contenus méthodologiques et thématiques. Et si on y arrive, quelque part c’est aussi de la géographie critique car les étudiants et nous sommes obligés de se mettre la tête à l’envers là-dessus. J’ai l’impression qu’on tourne dans des enseignements méthodologiques avec des réductions d’horaire, mais je demeure convaincue qu’il faut une action complète et un enseignement intégré entre thèmes et méthodes et outils.

[SD] Pour réagir là-dessus, il me semble que c’est aussi lié à la construction d’une chapelle, si je peux la nommer comme ça, dans le sens où l’appareillage lié à l’analyse spatiale, à la fois théorique et méthodologique, implique des articulations. Etre en mesure d’expliquer ces théories et méthodes implique dans les services d’enseignement aussi de basculer du côté des SIG, de l’analyse multivariée. Et donc c’est aussi être désigné dans un département comme la personne qui va être en mesure de remplir ces services, et il y a donc un effet d’étiquetage puisque ce sont les personnes qui sont capables de faire l’un qui vont faire l’autre. La difficulté que j’identifie est de parvenir à dépasser cette étiquette.

[SV] Moi aussi je voudrai réagir sur 2 choses. La première, c’est qui fait quoi ? Car dans mon cas le refus des uns de faire ces cours-là a été pour moi la possibilité de faire ce que je veux. Et donc je le vois comme des espaces de liberté, pour moi et pour les étudiants.

[CD] C’est comme ça que j’essaie de présenter les choses et l’enseignement d’analyse spatiale : comme une ouverture permettant la liberté de raisonner ou pas à partir de cette démarche, mais en connaissance de cause. Vous pouvez rejeter ces outils, mais au moins vous savez que ça existe.

[SV] Et puis pour ces interactions, on le fait dans ses propres enseignements quand on a la chance d’enseigner aussi du thématique. Et je fais aussi du « quali » donc je n’ai pas cette étiquette de quantitativiste. Par contre, en vous écoutant, je me posais la question : est-ce qu’on doit afficher l’étiquette analyse spatiale ? Est-ce que c’est pertinent aujourd’hui ? Moi, dans mon université, il y a une forte division entre ceux qui font des SIG, et ceux qui font ce que les SIG ne savent pas faire… Et ça, c’est clivant et ça complexifie les interactions.

[CG] Comme Sophie [SV], j’ai la chance d’enseigner des cours thématique (démographie, géographie régionale). 1. Est-ce qu’il faut un cours d’analyse spatiale en tant que tel ? 2. Est-ce que c’est un géographe qui doit l’enseigner, parce qu’il y a maintenant tout un courant de science de l’espace ? Une partie des contenus est en fait dans les SIG, et une partie des effets de la distance s’inscrit dans une transdisciplinarité forte en sociologie, démographie, histoire, aménagement. Par ces concepts de distance ou d’interaction, on peut se placer dans des questions interdisciplinaires, et c’est aussi une manière de rattraper les classes prépas. Après, on peut se permettre de mener ce type de remarque dans une université où l’analyse spatiale est ancrée, ce n’est pas sûr que ce soit si facile lorsque l’analyse spatiale est moins présente et qu’il faut lâcher le peu qui est acquis.

[SV] Ah mais je suis tout à fait d’accord. Moi j’ai 40h avec les étudiants en L2 en stats-carto, et je l’ai appelé comme ça exprès pour pas que ça embête. Je fais ce que je veux mais j’ai que 40h. Et je ne lâcherai pas le morceau. On n’a que des cours de 20h maintenant : réduire de 20% toutes les maquettes, ça s’est traduit par céder 4h sur tous les cours de 24h. Mais je suis la première à ne pas lâcher car on est dans un rapport de force à différents niveaux. Et dans ce cadre, du point de vue de mes collègues, il faut que ce soit un cours efficace, opérationnel. Donc est-ce qu’il ne faut pas supprimer les CM ?

[MG] Je voulais revenir sur la question d’Etienne [ET] sur les nouveaux outils comme R, et notamment sur leur mise en application en master. Souvent en master la motivation est réelle mais ce type de logiciel de programmation nécessite de maîtriser beaucoup de fonctions, avec un coût d’entrée relativement long, pour pouvoir l’utiliser en autonomie. Ces initiations à la programmation sont assez clivantes, même si l’intérêt pour la démarche est manifeste. Cela pose la question du format de l’interface de programmation, et de l’intérêt du développement d’interfaces plus conviviales, même si un peu plus clic-bouton.

J’avais une autre question sur les projets tutorés et le recours aux méthodes et outils de l’analyse spatiale dans ce cadre. Dans quelle mesure les approches d’analyse spatiale que vous enseignez en master sont-elles ensuite réutilisées dans le cadre de ces projets tutorés, comment sont-elles adaptées pour être présentées aux commanditaires ? Avez-vous des exemples de la manière dont les fondamentaux enseignés sont remobilisés dans des contextes professionnels, en géomarketing ou en géographie de la santé par exemple ?

[SR] J’ai une petite anecdote à partager à ce sujet. Dans le cadre d’un projet tutoré, les étudiants devaient travailler sur l’organisation de l’offre de soins au sein de différentes villes. Afin de comparer la distribution de différentes spécialités de soins, j’ai fait travailler des étudiants sur des méthodes d’analyse de dispersion, en s’appuyant notamment sur l’utilisation des ellipsoïdes de dispersion. Outil utile pour l’analyse mais difficilement exploitable auprès d’un public non averti.. Je n’avais pas anticipé que les étudiants allaient présenter les résultats bruts issus de ces analyses aux commanditaires (élus, chargés de mission au sein de collectivités locales) Ceux-ci n’ont évidemment rien compris. Je ne souhaite pas refaire l’erreur et maintenant j’explique qu’il faut bien veiller à enseigner ce que ces outils donnent à voir et à repérer, mais qu’ils doivent être retraduits sous d’autres formes de restitution pouvant être appréhendées par tous les publics. Cela demande de former les étudiants dans leur capacité à restituer cette production de connaissances et réfléchir aux supports et à la sémiologie graphique adaptée.

[SL] Pour compléter à partir de l’expérience du cours de géomatique 2 à Créteil, initialement on se dit que comme c’est à la fin du cursus, ils ont déjà un bon niveau en SIG. Et je me dis que je vais en profiter pour leur montrer plein de choses différentes : Google Maps comme un SIG, présenter R. Mais le retour est assez contrasté car pour une moitié des étudiants, ceux qui avaient une appétence technique, ils accrochaient bien. Mais, pour les autres, ceux qui ne l’avaient pas du tout, ça ne les intéressait absolument pas. Pour R c’est pareil, quand tu présentes à un public de licence les outils de programmation, pour certains tu apparais comme un dieu vivant et tu leur ouvres des portes dont ils rêvaient, et pour les autres tu vas les perdre. En géographie et en licence, le public est très hétérogène et pas forcément réceptif à toutes ces spécialisations en dehors des outils les plus simples, mais après en niveau master on a un public qui peut se prêter à plein d’explorations car ils ont une vision plus utilitariste, et plus on leur en donne plus ils sont contents.

[CAL] Je voulais simplement revenir sur la question posée tout à l’heure de l’intérêt de faire de l’analyse spatiale en licence. Je pense que c’est important car ça les fait réfléchir à l’espace, ses régularités, de chercher le général et comparer différents endroits, que les choses ne sont pas faites au hasard. Ce sont des choses qui sont rarement dites dans les autres cours, et pour moi l’analyse spatiale ça apporte cela. Cela permet de prendre de la hauteur par des cours plus théoriques.

[CD] C’est pour ça que je ne pense pas qu’en faire une option, en tout cas pour les niveaux licence, ce soit une bonne idée, parce qu’effectivement on aborde des concepts qui sont centraux dans la géographie (par exemple celui de ségrégation). Et cela permet de nourrir les autres cours, d’apporter des éclairages aux cours thématiques et effectivement, de prendre de la hauteur. L’aspect outil peut être optionnel mais l’aspect conceptuel et épistémologique est indispensable.

[Delphine Callen, DC, INSPE Créteil] Sur la question est-ce que l’analyse spatiale doit apparaître en licence ou en master, je vois peut-être les choses par le petit bout de la lorgnette en étant moi-même enseignante dans la formation des enseignants, mais si on en parle qu’en master, les futurs enseignants n’auront pas vu cette approche en géographie, même si les géographes composent une toute petite partie des futurs enseignants. Or, c’est important pour eux, justement car cela apporte en termes théoriques et conceptuels.

[CG] Une année par hasard, j’ai récupéré un cours de géographie régionale de L2, que j’ai préparé en quelques semaines. Si on y réfléchit, on fait tout ce qu’il y a en analyse spatiale dans la géographie régionale. Par exemple, travailler sur les limites des régions revient à envisager les effets des frontières comme barrières sur les échanges, les mobilités. Envisager les regroupements de territoires pour constituer des régions dites homogènes revient à poser le principe de « qui se ressemble s’assemble » et donc à envisager les principes d’autocorrélation spatiale positive. Envisager les espaces dépendant d’un centre selon un certain gradient revient à s’intéresser aux régions dites polarisées etc.

Conclusions

[MB] Pour conclure cet atelier-débat court, trop (?) court, Marianne et moi souhaitons vous redire toute la satisfaction que nous éprouvons à l’idée que ces échanges aient pu avoir lieu, compte-tenu des conditions et des contraintes qui pèsent sur les trajets de chacun.e d’entre nous. Par rapport aux thématiques proposées dans l’appel à participation à l’atelier-débat et rappelées en introduction par Marianne, les présentations de nos collègues et les échanges qui ont suivi ont permis de faire le point sur une présence très différente des approches en analyse spatiale dans au moins 6 universités. Cet atelier-débat a aussi permis de souligner les liens avec d’autres enseignements de licence voire l’utilisation d’autres enseignements, notamment ceux de méthodes et outils – statistiques et cartographie, SIG entre autres – pour « faire de l’analyse spatiale ». Cet atelier-débat a enfin permis de partager des réflexions sur l’évolution des « formats » d’enseignements de l’analyse spatiale, subis le plus souvent mais aussi parfois proposés. Ces formats renvoient certes aux différences entre cours magistraux et travaux dirigés sans oublier des formes hybrides comme les enseignements intégrés, mais aussi à la durée des séances devant les étudiants, à la nécessité de faire travailler les étudiants – pas toujours convaincus par de telles approches – sur des exemples « réels » et pas seulement sur des exemples certes simples mais fictifs. Ces échanges font ressortir en creux des changements de génération parmi les collègues en charge de ces approches et des différences de personnalité, avec une difficulté qui persiste : le déséquilibre dont peuvent souffrir les approches en analyse spatiale, souvent mieux articulées avec les utilisations des méthodes et des outils qu’avec les enseignements qui semblent plus traiter de questions dites thématiques…

Cet atelier-débat constitue la première étape d’un projet qui souhaite rendre compte plus complètement de l’enseignement de l’analyse spatiale aujourd’hui. Certains développements des intervenants ont beaucoup aiguisé notre curiosité. Nous avons ainsi envie d’en savoir plus sur le « Biscornustan » pour faire de l’analyse spatiale en « clandestin ». Nous souhaiterions en savoir plus également sur les équilibres trouvés entre apprentissages de la cartographie, des SIG et principes d’analyse spatiale : comment sont construites précisément les progressions semestrielles ? annuelles ? voire la progression tout au long de la licence ? Au-delà des 6 semestres de licence qui ont constitué l’essentiel des échanges de cet atelier-débat, de rapides échanges ont mis en avant l’importance du niveau master pour de telles approches. Et là encore les questionnements ne manquent pas. Dans les formations en géomarketing, comment enseigne-t-on l’analyse spatiale ? De même, en géographie de la santé ? Sans oublier les expériences à l’étranger que les un.e.s et les autres ont pu construire ou suivre.

A partir de ces premiers éléments, il y a de quoi construire un dossier spécial de feuilles consacrées à l’analyse spatiale, passant par le lancement d’un appel à contributions auprès d’autres collègues. Dans ce projet visant à dresser un état des lieux des enseignements de l’analyse spatiale aujourd’hui, il y a donc l’atelier-débat en guise d’introduction, mais aussi un appel à Feuilles pour faire connaître et reconnaître des « pépites » d’enseignement de l’analyse spatiale, qu’il s’agisse de séquences de travaux dirigés, des propositions de sujet ou encore des progressions de licence, de master ou autres. Enfin, nous envisageons d’interroger des collègues sur leurs pratiques d’enseignement de l’analyse spatiale.

Télécharger le compte-rendu de l’atelier-débat

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